C’est son avis « Le juge n’a pas su protéger l’activité agricole »
Dans l’affaire opposant un éleveur de l’Oise à ses voisins, Timothée Dufour, avocat au barreau de Paris et fils d’agriculteurs en Dordogne, déplore que le juge ne se soit pas saisi de la loi qui protège le patrimoine sensoriel des campagnes françaises.
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« Nombreux sont les agriculteurs à constater une multiplication des incidents avec les riverains, en raison de leur activité. La déconnexion de certains concitoyens des territoires ruraux, trop souvent idéalisés, apparaît plus prégnante.
Le 29 janvier 2021, les députés ont ainsi voté à l’unanimité une loi visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises. Ce texte est né de la volonté de parlementaires à venir en appui de maires ruraux de plus en plus sollicités pour ce type de conflits de voisinage, mettant en cause des sons et odeurs inhérents à la campagne et à l’exercice d’activités agricoles. Mais cette loi est aujourd’hui ignorée et inappliquée par la justice.
Guérilla judiciaire
Preuve en est le cas de Vincent Verschuere, agriculteur à Saint-Aubin-en-Bray, dans l’Oise, condamné à verser 120 000 euros de dommages et intérêts à ses voisins pour des nuisances occasionnées par son élevage. Il fait l’objet, comme d’autres agriculteurs, d’une véritable guérilla judiciaire de la part de six voisins qui souhaitent, outre sa condamnation pour un trouble anormal de voisinage, la démolition d’un bâtiment agricole légalement construit.
« Bruits, odeurs, mouches en grand nombre » et « meuglements de vaches perceptibles depuis les habitations » : voici leurs motivations, appuyées notamment par de prétendues attestations « d’amis venus leur rendre visite », pour justifier l’existence d’un trouble anormal. Le 8 mars, la cour d’appel d’Amiens leur a pourtant donné raison, écartant l’application de loi du 29 janvier 2021, censée protéger les agriculteurs.
Une loi oubliée
« Il n’appartient pas à la cour, d’une manière générale, de dire si, par principe, les habitants des zones rurales doivent supporter toutes les conséquences, y compris les plus dommageables, des exploitations agricoles, à raison même de ce qu’ils ont fait le choix de résider en zone rurale », a motivé la juridiction. L’esprit de la loi sur le patrimoine sensoriel des campagnes l’invitait pourtant à se prononcer sur la question.
La sanction de 120 000 euros est, de plus, disproportionnée par rapport à ce que gagne un agriculteur.
Au fond, la position du juge laisse un sentiment amer. Il a manqué une occasion d’appliquer la loi du 29 janvier 2021 et d’envoyer ainsi un signal fort aux agriculteurs, acteurs économiques majeurs des territoires ruraux.
Même si ces sons et odeurs peinent à être définis encore à l’heure actuelle au sein d’un inventaire, il aurait au moins dû y faire référence.
Les élus attendus
Aujourd’hui, la décision semble en apparence donner raison à ceux qui souhaitent aseptiser la campagne et la mettre sous cellophane. Le combat judiciaire n’est cependant pas terminé. Le gouvernement doit plus que jamais se saisir du sujet, à défaut pour le juge d’en faire une application immédiate. Les agriculteurs seront ainsi confortés dans l’exercice de leurs activités. On le leur doit. Nous nourrir est leur métier. Le protéger est notre devoir. »
Propos recueillis par Rosanne Aries
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